Qu'est-ce qu'une Obscena ?

Voilà déjà quelques années, j'ai débuté une recherche universitaire sur ce vaste sujet. Celui-ci a été trop souvent ignoré par les chercheurs, qui souvent ne consacrent que quelques paragraphes à cette difficile question. Alors que dire sur les Obscenae romanes, c'est bien là le sujet de ce site : définir ces motifs délaissés, souvent érodés, voire même abîmés par des mains pudibondes.

Comme son nom l’indique l’Obscenae est un motif iconographique que l’on peut juger d’obscène. Il s’agit de figures montrant ou symbolisant la concupiscence, un comportement libidineux, la luxure, l’impudicité... Empruntant les traits plus ou moins réaliste d’hommes, de femmes, d’animaux, de monstres hybrides, de couples, s’exhibant sans détour, faisant des attouchements ou simplement pratiquant le coït, les Obscenae forment une iconographie complexe se répandant dans presque l’ensemble des arts : dans la peinture, la sculpture, la broderie, l’enluminure, l’orfèvrerie… Si le champs d’étude est vaste, il demeure que cette simple définition reste insuffisante puisqu’elle ne prend pas en compte un élément essentiel : Ce qui nous apparaît aujourd’hui obscène ne l’est pas forcément pour l’époque médiévale. Alors il nous faut donc se fier aux sources littéraires pour tenter d’entrevoir une juste définition des Obscenae. Hors, les auteurs du Moyen Âge n’abordent pas directement ces motifs. En revanche, ils nous définissent à différents degrés ce qu’est pour eux l’obscénité, la licence, la luxure, et ce, généralement sous la forme des comportements répréhensibles par la morale de leur temps. Mais, là également, une telle approche souffre d’un écueil qui lui est consubstantiel. En effet, les sources romanes ou gothiques nous donne certes une vision de leur époque, mais il s’agit en fait d’un miroir déformé. Celui-ci provient de l’origine même de la source, c’est-à-dire de la position sociale de l’auteur. Georges Duby, dans son fameux Le mâle Moyen Âge et plus précisément dans son très court préambule, nous définit très bien ce problème. Il y écrit que la source littéraire médiévale est dans sa grande majorité celle écrite par des hommes qui sont de surcroît des religieux s’adressant à d’autres ecclésiastiques, « éduqués, élevés, dressés » pour avoir une défiance naturelle envers la sexualité, la nudité et même les femmes. Ces dernières seront même jugées comme des tas d’excréments. Etait-ce la réalité ? Cette vision était-elle partagée par tous ? Je ne crois pas. De même, de nombreux auteurs romans ont défini les unions illégitimes comme l’un des pires péchés et que le fruit qui en résultait comme une naissance dépourvue d’âme, et donc était dans son essence déjà damnée. Toutefois, une rapide étude de la bien mal nommée Tapisserie de Bayeux nous montre qu’un tel enfant, comme l’était Guillaume le Conquérant, pouvait être soutenu par le Pape dans son entreprise guerrière. En effet, l’embarcation du Duc de Normandie est surmontée par l’emblème du Pape lors de la scène où les troupes normandes se rendent en Angleterre.

Cette œuvre brodée romane nous montre également que la nudité n’est pas le seul critère pour définir l’obscénité selon les personnes de l’époque romane. Un regard attentif de cette œuvre d’art de plus de 70 m. de long nous fait constater que les marges sont habitées par des personnages nus, majoritairement masculins et offrant à la vue de tous des phallus. Dans le registre principal de la composition, nous notons également que la totalité, sauf un, des équidés sont des étalons présentant tous un corps érectile bien détaillé. Pourtant, l’emploi d’étalon au combat est peu probable du fait de leur propension à ne pas pouvoir être contrôlés en présence d’une jument en plein cycle de menstruation… Mais, je disais donc tous sauf un. Il en y a un qui fait exception et qui est chevauché par Guillaume tenant sur son bras un faucon. Sa monture, de proportion identique aux autres, possède de plus longues oreilles mais est dépourvue d’un sexe. En fait, il s’agit ici d’une mule, c’est-à-dire d’un fruit d’une union non naturelle entre un étalon et une ânesse. En d’autres termes, les auteurs et les commanditaires de cette œuvre ont qualifié la bâtardise du cavalier. Cependant, ils ont également mis en avant sa loyauté envers l’Eglise et sa légitimité aux yeux de celle-ci, et ceci, au détriment de son adversaire qui s’était parjuré.

En conséquence, les Obscenae sont des œuvres d’art revêtant une multitude de forme allant de l’allégorie au simple exhibitionniste. Elles ont été trop souvent qualifiées de curiosités (curiosae), dénigrant leur valeur plastique et l’aide qu’elles pouvaient apporter à la complète compréhension d’une époque mal connue. Aussi, c’est bien là l’utilité de cette recherche. Ainsi ce site tentera de vous donner les différentes hypothèses pour interpréter ces œuvres d’art et cherchera à recenser l’essentiel du corpus des Obscenae romanes dans l’Ouest de la France et plus largement dans l’Europe chrétienne des 10e, 11e et 12e siècles.

 

Aussi, ce site Internet a naturellement une vocation interactive, alors si au cours de vous périgrinations vous découvrez une Obscena romane près de chez vous, n'hésitez pas à me faire parvenir une photographie ou un dessin de l'oeuvre avec un descriptif (localisation sur le bâtiment, rapide description du contexte iconographie, nom de l'édifice, datation probable du décor, nom du lieu de la découverte avec le nom du département...), de même si au cours de vos lectures vous trouvez quelque chose, envoyez moi la citation (avec nom de l'ouvrage, de l'auteur, la date de composition du texte...) à l'adresse Email ci-dessous. Vous pouvez également donner votre avis ou déposer une réaction sur le livre d'or.

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